Sur la route de nos dernières vacances en Catalogne on a passé quelques jours chez notre ami Joël11 dans son fief de Tuchan en Corbières. Il nous a fait découvrir quelques belles routes, des pistes, des chemins, la gastronomie et les vins du pays mais en ce qui me concerne j’ai eu l’occasion d’essayer son cheptel de bécanes à forte personnalité.
Tout d’abord à l’occasion d’une balade sur route (quoique si je me souviens bien pas seulement sur route…

) j’ai pu essayer sur une petite route de col bien lacé son AC 900 équipé de l’amortisseur Wilbers et de carbus FCR (une grande histoire d’amour que cette relation entre Joël et les FCR). Mis à part une poignée dure, sensible surtout en roulage constant (mais j’ai pas trop essayé le roulage constant…), c’est la moto sur laquelle on se sent immédiatement à l’aise (réglages aux petits oignons de l’amorto et des carbus) et prêt à en découdre avec tout ce qui se présente tant tout est intuitif et réactif sur cette bécane ! La tenue de route est sécurisante, le bruit venant de la boîte à air enivrant, les pneus (Anakee à l’avant et Bridgstone plus routier à l’arrière) accrocheurs au possible et sur tous revêtements.
Le lendemain matin Joël m’avait par contre préparé un programme d’essais qui allait crescendo en partant du pas banal vers le sublime. Les essais s’enchaînaient pour que puisse garder en mémoire l’essai précédent, comparer ainsi mieux les différentes motos et arriver progressivement vers ce qui pour moi reste le nirvana ; on sentait la progression pédagogique dans la recherche du plaisir.
Départ donc avec le 900 ie LE stock de Joël sur une piste d’essai composée d’une route de lacets étroits vers Vingrau tout d’abord puis de « sa » piste (la route vers Villeneuve) aux virages plus larges.
Le confort est royal, la musique venant de la boîte à air rauque et envoutante, la poussée est fantastique – je ne me souvenais pas que ça pouvait marcher aussi fort un ie. La poignée de gaz est souple mais le confort équivalent quoique dans des domaines différents avec l’AC essayé la veille et je n’arrive pas à les départager (ça commence bien !) tant je m’étais senti bien sur le 900 AC. L’AC pour une conduite plus sportive et pour sa tenue de route incisive, la ie pour son confort, sa douceur et sa patate malgré tout.
Après ça difficile de retrouver des marques sur le « proto » 944 ie à grosses soupapes qui est démoniaque en ce qui concerne le moteur (ça pousse de tout en bas jusque tout en haut du compte-tour sans aucune faiblesse passagère et sans trou) mais un peu à la traîne pour ce qui est de l’accord des suspensions faute à une fourche (de Gran Canyon équipée d’une roue en 17’ et du double disque) ) trop dure qui renvoie des mauvais coups. Avec l’équipement d’origine – ou des modifications de réglages sur cette fourche – la moto doit être un bon cran au dessus des ie qui tournent en France et au prix de vente de l’époque (2500 euros sur Leboncoin tel quel ou 3500 avec en plus l’équipement d’origine) je ne comprends pas comment elle a pu ne pas partir chez un amateur de 900 ie LE en recherche d’une moto d’exception.
Après ces deux « trails » on est passé aux sportives et – un peu comme chez Claudio Castiglioni qui préférait MV Agusta à Cagiva – on sent que la préférence de Joël va à ces machines haut de gamme.
Avec l’essai de sa Ducati 900 SS à cadre blanc j’ai retrouvé l’ambiance de l’échange de motos qu’on avait fait il y a bien longtemps déjà avec Phil – lui avait un 900 SS et moi une Buell S1 : rigueur dans les trajectoires (je parle de la Ducat’ pas de la Buell, hein ?

) , position de conduite inconfortablement sportive (un peu moins quand même que sur mon ex Ducati 888) et une poussée franche qui ne rend rien sur les premiers 100 mètres au proto 851 à moteur de SS avec carbus FCR de Joël que j’aurai l’occasion d’essayer en fin de matinée.
Cette SS se place avec bien moins d’effort sur sa trajectoire que mon 888 et dans un confort finalement presque routier – ayant le dos en vrac d’en haut jusqu’en bas je suis plutôt sensible au critère de confort surtout quand il est associé comme c’est le cas à une tenue de route extraordinaire.
Pour le freinage un doigt suffit à te propulser sur le réservoir et on passe allègrement de l’avant à l’arrière de la selle, le moteur est souple et puissant à la fois et il te vient la banane rien qu’en prenant un peu de hauteur pour te regarder tracer de si belles lignes.
Pour ce qui est de la ligne le proto 851 de Joël c’est déjà une sculpture quand elle est à l’arrêt

– on n’a pas fait de photo durant cette matinée et tout est simplement gravé dans ma mémoire comme une œuvre parfaite qu’il faut approcher, contourner, examiner d’abord pour la toucher, laisser courir ses doigts sur les formes épurées ensuite et finalement l’essayer et alors dès les premiers mètres on est transporté dans un autre monde, une autre dimension.
C’est la machine la plus extrême que j’ai pu essayer de ma vie et je ne suis pas sûr qu’une autre diva puisse me faire changer d’avis, tout ne pourra être qu’en deçà de cette expérience brève mais inoubliable. Dès le ralenti, dès la plus petite rotation du poignet, au moindre soubresaut, à la naissance même de la première intention d’accélérer, au moment même où ton cerveau commande ta main le compte-tour grimpe dans un bruit d’aspiration jouissif, le moteur prend des tours sans retenue, l’estomac se crispe, le corps se tend.
En action la bête s’assoit dans les courbes, en suivant la trajectoire fixée par les yeux aussi bien que les corrections sur l’angle et ce sans effort, la puissance déboule en masse et ça se presse au portillon, ça tracte, ça pulse, ça pousse, ça éructe, ça explose, tout ça dans un bruit de folie mais de manière presque civilisée tant tout semble facile.
Même un simple conducteur comme moi devient un pilote, tellement elle est efficace. Même le relatif inconfort devient une qualité tellement on fait corps avec cette machine. Le plaisir est omniprésent, la satisfaction immédiate et totale.
Sûrement la moto de mes rêves jamais rêvés – parce qu’il faut d’abord l’avoir vue et essayée avant de pouvoir se la rêver à nouveau – là l’imagination est un cran en dessous de cette réalisation technique, bravo Joël pour le boulot fait dessus et surtout merci pour cette expérience !
GG

“Qu’est-ce-que la vie ? Un délire ? une illusion, une ombre, une fiction ; et le plus grand bien est peu de chose, car toute la vie est un songe et les songes sont des songes...”
Pedro Calderón de la Barca